10 rue Orsel, 69600 Oullins
Tél. 04 72 39 74 93
Avec
Danielle Autier : Bessie Burgess
Fabien
Batheyron : Capitaine Brennan
Aurélie Bernard : Rosie
Redmond
Eliane
Bochet : Mme Gogan
Carmen
Ceballos : Caporal
chef Stoddart, la dame et la commissionnaire
Virginie de Cuevas : Nora Clitheroe
Dominique
Dionisi : Jack
Clitheroe
Frédérik
Ferrer : Fluther
Good
Julien
Grobert : Neneuf
Didier Huet : Peter Plynn
Eve Huet :
Mollser Gogan
Gilles
Laignel : Lieutenant
Langon
et Sergent
Tinley
Yvette Soler : Samantha
Lumières : Léonard Perrot
En novembre 1915 et en avril 1916 des événements marquent la ville de Dublin : l’effervescence créée par les activistes nationalistes irlandais, le soulèvement des "Pâques sanglantes" (Easter rising), la proclamation de la république d’Irlande et la répression britannique.
La pièce fait vivre les habitants d’un immeuble populaire, protagonistes ou, surtout, témoins et victimes de ces faits.
Il s’agit donc d’une tragédie, d’un mélodrame, d’une œuvre historique et politique. Sans doute. Mais ce sont aussi des scènes de la vie quotidienne, avec le langage truculent des Dublinois et ses répliques vives, acerbes et cocasses. Même dans le malheur, la comédie rejaillit sans cesse. Ce n’est jamais par apitoiement que nous nous sentons proches des personnages, mais simplement parce que ce sont des êtres humains avec toutes leurs contradictions.
Le ton n’est jamais didactique ni manichéen. Seán O’Casey ne craint pas de ridiculiser le dogmatisme du personnage dont il partage les convictions, Neneuf, le militant socialiste qui, à contre-courant de ses voisins, prône l’internationalisme.
Cette pièce, c’est tout simplement la vie dans l’Irlande pauvre dont O’Casey est issu. Mais les combats au nom du nationalisme et de la religion ont, hélas, quelque chose d’universel et d’intemporel dont l’absurdité et l’horreur nous frappent encore aujourd’hui.
Des
tribuns glorifient la guerre. Des insurgés meurent les
armes à la main. Leurs noms seront gravés sur les monuments et leurs dernières
paroles grandiloquentes, sans doute apocryphes, seront citées dans les
discours. Mais ils agissent par forfanterie ou par peur et font le malheur de
leurs proches. D’autres ne méritent pas le titre de héros. Ce sont des pochards
à la langue bien pendue et des pilleurs par opportunisme, des témoins passifs, bienveillants
ou hostiles à l’insurrection. Mais, modestement, sans souci de leurs
convictions respectives et sans gloriole, certains d’entre eux courent sous la
mitraille secourir une voisine, chercher un médecin ou organiser un enterrement.
Une autre offre simplement un verre de lait à une petite tuberculeuse malgré
les conflits acerbes avec sa mère, assiste une malade et - dégât collatéral,
dirait-on aujourd’hui - meurt sous les balles de ceux qui pourraient être les
compagnons d’armes de son fils. Ce n’est pas l’héroïsme qui fait l’humanité,
c’est la solidarité.
Pendant des siècles, l’Angleterre protestante a imposé sa domination coloniale et religieuse à l’Irlande catholique et a lourdement réprimé ses révoltes. Selon les sources, entre le tiers et la moitié de la population de l'île aurait été massacrée en 1649 par les troupes de Cromwell.
Entre 1695 et 1727 sont promulguées plusieurs législations, appelées "Lois pénales", ensemble de discriminations économiques, sociales et politiques vis-à-vis des catholiques. Bénéficiant de confiscations, les colons anglais et écossais accaparent plus de 90 % des terres.
A cause des récoltes catastrophiques de 1846 à 1848, un million d’Irlandais meurent de faim. Ils sont peu secourus par l’Angleterre qui encourage l’émigration de plus d’un million de miséreux, essentiellement vers les USA. L’absence des forces vives accentue la paupérisation. Le nationalisme irlandais va se développer en Amérique où il trouvera toujours un fort soutien.
1913 :
Les Protestants d’Ulster (Nord de l’Irlande) s'opposent au projet d'autonomie irlandaise (Home Rule) déposé par le gouvernement britannique. Ils craignent d'être bafoués comme minorité et soumis à l'église catholique. Les milices armées légales étant autorisées, ils lèvent un corps armé de 100 000 hommes pour défendre leur appartenance à la Grande-Bretagne et les privilèges qui y sont attachés.
En réaction à la répression policière de grèves qui durent d’août 1913 à janvier 1914, L'Irish Citizen Army, un corps d’autodéfense ouvrière, est créée par des leaders syndicaux et James Connolly, chef de l'Irish Labour Party.
1914 :
Des centaines de milliers d’Irlandais se portent volontaires dans l'armée britannique pour combattre les Allemands.
Le Home Rule est définitivement voté. Le roi George V l’approuve mais le suspend pour la durée de la guerre mondiale.
1916 :
En
Allemagne, un
diplomate irlandais, Roger Casement, essaye, en vain, de convaincre le
gouvernement allemand, en guerre contre la Grande Bretagne, d'envoyer
des
troupes en Irlande et de recruter une brigade nationaliste parmi les
prisonniers irlandais. Néanmoins il obtient l’envoi de 20 000
fusils pour
l'Irish Volunteers Force de l'Irish Republican Brotherhood. Le
chalutier Aud
les transportant est arraisonné le 20 avril.
24 au 29 avril : Insurrection de Pâques (Easter rising) à Dublin, sous la direction de l’Irish Citizen Army et de l’Irish Volunteers Force mais avec peu de soutien populaire. Proclamation radiodiffusée de la République d’Irlande "au nom de Dieu et des générations mortes" et création d'un gouvernement provisoire.
Des pillards s’attaquent aux magasins mais les forces nationalistes les délogent.
Après six jours de violents combats, le bombardement du centre de Dublin par l’artillerie lourde britannique et des centaines de morts surtout civils, la révolte est écrasée et Patrick Pearse, chef du gouvernement provisoire, signe une reddition sans condition.
Connolly, Casement, Pearse et d’autres leaders condamnés à mort sont exécutés. Éamon de Valera, protégé par sa nationalité américaine, est gracié.
Cliquez ici pour visionner une brève vidéo sur les Pâques sanglantes.
La dureté
de la répression anglaise
crée un mouvement de sympathie envers les indépendantistes
et transforme l’échec de l'insurrection en victoire politique.
Le Sinn Féin remporte triomphalement les élections de décembre 1918, constitue un parlement irlandais (le Dáil Éireann) et proclame l'indépendance. Le pouvoir britannique dissout le parlement. Un nouveau soulèvement éclate, qui va durer trois ans.
Le 6 décembre 1921, des négociations entre le gouvernement britannique et les dirigeants nationalistes irlandais aboutissent au traité de Londres. L’Irlande est partagée entre l'Ulster (les six comtés du nord, les plus riches) qui reste partie intégrante du Royaume-Uni et l'État libre d'Irlande qui devient un dominion du Commonwealth.
Opposé au traité de Londres, Éamon de Valera démissionne de la présidence de la république et déclenche, avec l’IRA (Irish Republican Army), la guerre civile contre le gouvernement irlandais pour obtenir l’indépendance totale de l’Irlande. La guerre est gagnée en 1923 par les pro-traités, équipés par les Britanniques. E. de Valera retourne en prison de 1923 à 1924. Il sera ensuite plusieurs fois président du conseil et, de 1959 à 1973, président de la république et obtiendra l’indépendance irlandaise, reconnue par une nouvelle constitution (1937) et un traité avec la Grande Bretagne (1938).
Les traces des dissensions entre les factions restent ineffaçables dans les esprits. Les actes politiques prolongent cette ambigüité. C’est ainsi que le gouvernement célèbre les 50 000 morts irlandais de la première guerre mondiale et, en 1965, rend les honneurs militaires à la dépouille de Roger Casement qui les a trahis.
En
Irlande du Nord, le combat
républicain se poursuit contre les loyalistes et le gouvernement
britannique. Dans
les années 60 et 70, il est particulièrement vif, notamment lors des
attentats terroristes
de l’IRA en Irlande et en Angleterre, et sa répression est impitoyable.
Le
conflit s’apaise en 1997.
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Le titre de la pièce fait allusion à la bannière du mouvement d’autodéfense ouvrière l'Irish Citizen Army. En anglais, la Charrue désigne la constellation de la Grande Ourse. La charrue symbolise le retournement du sol de la société capitaliste par la lutte des classes pour récolter un monde meilleur dont l’idéal est représenté par les étoiles. O’Casey regrettait que cet idéal soit trahi par l’alliance avec les nationalistes de l'Irish Volunteers Force. |
30 mars 1880 - 18 septembre 1964
Seán O’Casey (anglicisation de Shaun O'Cathasaigh) était le dernier enfant d’une famille nombreuse, pauvre et protestante. Victime dès l'enfance d’une maladie des yeux qui le mena peu à peu à la cécité, il ne fréquenta l’école que trois ans. Il apprit à lire à treize ans, et acquit en autodidacte une culture littéraire et générale exceptionnelle dans son milieu.
Très jeune, il travailla comme ouvrier non-spécialisé et milita dans des mouvements nationalistes irlandais. Puis, syndicaliste, il adopta des convictions favorables au socialisme révolutionnaire et à l’épanouissement culturel de la classe ouvrière. Il fut élu secrétaire honoraire de la milice prolétarienne, l'Irish Citizen Army.
En 1915, l'Irish Citizen Army s’allia aux nationalistes de l'Irish Volunteers Force. Ce rapprochement est scellé dans le meeting qui se déroule pendant le deuxième acte de "La charrue et les étoiles". O’Casey, devenu partisan de l’internationalisme et très opposé à l’emprise de l’église catholique sur les nationalistes, démissionna de l'Irish Citizen Army.
De 1923 à 1926, il écrivit sa trilogie dublinoise qui s’inscrit dans l’histoire très proche : "L'ombre d'un franc-tireur", "Junon et le paon" (adapté au cinéma par Alfred Hitchcock) et "La Charrue et les étoiles" (adapté au cinéma par John Ford, sympathisant de l’IRA, qui retraça aussi dans "Le jeune Cassidy" les débuts d'écrivain d’O’Casey).
Une des premières représentations de "La Charrue et les étoiles" provoqua une émeute. Les Dublinois refusaient violemment l’image que la pièce reflète d’eux et des Pâques sanglantes : la barbarie des propos et le cynisme des leaders, le fanatisme nationaliste et religieux, la forfanterie, la peur, l’égoïsme des insurgés, la trahison de ses idéaux socialistes et de ses préoccupations sociales par l’Armée Citoyenne Irlandaise, l’impuissance de la gauche internationaliste, l’absurdité et l’horreur du conflit. Même la présence d’une prostituée dans la pièce et la consommation d’alcool par des miliciens étaient reprochées à O’Casey.
Dorénavant, malgré leur talent d’écriture, les pièces d’O’Casey furent refusées par les théâtres irlandais. Face à cette hostilité, il s’exila comme bien d’autres auteurs irlandais (Oscar Wilde, James Joyce, Samuel Beckett...).
Il
poursuivit en Angleterre une
œuvre de gauche et anticléricale. Plus tard, devenu stalinien, il
perdit une
part de son talent en cédant au manichéisme et au dogmatisme qu’il
avait
brillamment évité en début de carrière.
Il est l'auteur d'une autobiographie en six volumes dont le principal
intérêt est de montrer, au jour le jour, la terrible misère du
prolétariat auquel il appartenait. Les innombrables citations ou
évocations bibliques et littéraires et les allusions incessantes à
l'histoire, aux traditions et à la politique irlandaises rendent la
lecture difficile pour qui n'est pas du pays et nécessitent le
recours aux dizaines de pages de notes de la traductrice.
Au
deuxième acte, les propos sanguinaires
tenus par le tribun sont des citations de Patrick Pearse,
chef du
gouvernement provisoire lors de la proclamation de l’indépendance. De
"La
Marseillaise" aux terrorismes contemporains, la même phraséologie
effrayante mobilise les fanatiques.
"Nous devons nous habituer à l’idée des armes, nous devons nous habituer à la vue des armes, nous devons nous habituer à l’usage des armes… Faire couler le sang est un acte de purification et de sanctification. Une nation qui regarde le sang versé avec horreur est une nation qui a perdu sa virilité…"
"C’est une chance que cette guerre terrible. Le vieux cœur de la terre avait besoin d’être réchauffé du vin rouge des champs de bataille… Jamais Dieu n’avait reçu dommage plus grandiose : L’hommage de millions de vies offertes joyeusement pour l’amour de la patrie. Et nous devons être prêts à répandre ce même vin rouge dans un même glorieux sacrifice car il n’est pas de rédemption sans que le sang ne coule !..."
"L’héroïsme est revenu sur terre. La guerre est une chose terrible, mais la guerre n’est pas une chose mauvaise. Les gens en Irlande craignent la guerre parce qu’ils ne la connaissent pas… Quand la guerre arrivera en Irlande, il faudra qu’elle l’accueille comme on accueille l’Ange envoyé de Dieu..."
"Nos ennemis
croient qu'ils ont pacifié l'Irlande... Mais, les fous, les fous, les
fous ! Ils nous ont laissé nos guerriers morts et tant que l'Irlande
aura leurs tombeaux, l'Irlande asservie ne sera jamais en paix."
Dans un de ses plus célèbres poèmes, William Butler Yeats, prix de Nobel de littérature en 1923, magnifie l'échec des Pâques sanglantes en ces termes : "Une terrible beauté est née."
"Mon traître", roman de Sorj Chalandon (Grasset et Le livre de poche)
Ancien grand reporter pour Libération, Sorj Chalandon, connaît intimement l’Irlande. C’est la trahison d’un de ses amis de l’IRA qui est transposée dans ce roman. Il y raconte une passion dévorante décrite sur un rythme haché de phrases simples et captivantes. "Je garde à l’esprit, toujours, le fait d’aller à l’os des mots.", déclare-t-il.
En 1974, Antoine, un luthier parisien, tombe amoureux de l’Irlande du Nord, de son peuple et, en particulier, d’une petite communauté de militants de l’IRA. Pendant trente ans de fréquents séjours, il est fasciné par l’Ulster, non pas idéalisée par un office du tourisme, mais telle qu’elle est, avec la rudesse de son climat, de sa pauvreté et de la lutte des militants, mais aussi avec la force des amitiés qu’il y noue même si, on le sait dès les premiers mots, la plus insoupçonnable d’entre elles sera trahie.
Dans
un autre
contexte et un tout
autre style, plus dense, Chalandon comme O’Casey anime, avec sympathie
mais
sans nier leurs ambigüités, les gens du peuple irlandais dans leurs
vies
quotidiennes bouleversées par l’activisme politique.